Episode 2. Ma créativité est plus grande que la tienne.
Ca vous intéresse, hein, de savoir comment je suis devenu autonome dans cet univers où tout semble contrôlé ? Comment j’ai pu échapper aux Maîtres et surtout à mon Géniteur ? Bah, ça viendra, on a tout le temps, vous prendrez bien une bière en attendant ? Je la fais venir par la route en pierre, là, celle qui part vers la gauche et qui tourne derrière l’auberge. Celle du Nord, vous dites ? Ouais si vous voulez. Le Nord, le Sud, tout ça ne veut plus dire grand chose. Ça dépend de quel monde vous venez.
Vous savez, il y a des mondes plats, creux ou carrés où la notion de points cardinaux n’existe pas. Ah, c’est sûr c’est difficile à assimiler ! C’est comme les Maîtres qui vous inventent des journées de 15 heures ou des mois de 63 jours, et des cycles lunaires de fou avec trois ou quatre lunes. Les Géniteurs sont paumés, forcément. Moi le mien il faisait toujours la conversion avec ses références. Il y a des Maîtres qui croient que c’est ça l’originalité, la créativité : la démesure. Des ciels fuchsias, des animaux géants, des épées plus grandes, des donjons plus labyrinthiques. A force on est gavé. Je me suis toujours demandé si les Maîtres ne faisaient pas des concours entre eux.
Mais les Géniteurs ne sont pas en reste. Regardez les quatre qui sont entrés dans l’auberge, ils sont typiques. Pas question d’avoir l’air de gars normaux et pourtant ils ressemblent tellement à leurs pairs. Allez demander au voleur ; s’il n’est pas voleur je me coupe la main. Je la ferai régénérer après, d’accord, mais même habitué ça fait toujours mal. Je veux dire par là que ce type, s’il voulait vraiment être original il s’arrangerait pour qu’on ne comprenne pas quel est son métier.
Tout le paradoxe est là. Etre créatif ne nécessite pas forcément d’en faire des tonnes. Et puis si on voit de l’incroyable tout le temps, hé ben ça n’a plus rien d’exceptionnel ! Je me suis déjà baladé dans des coins où tous les gars qui maniaient une épée un peu correctement mesuraient tous deux mètres et avaient des bras comme des troncs. Au début ça intimide et puis on s’y fait. Pour peu qu’on sache se battre un tantinet, on en tanne quelques uns et au final on se rend compte qu’on s’en faisait une montagne ! Ce qui est dommage c’est qu’avec le temps, on devient blasé. Au début on voyage – ouais je vous raconterai mes voyages, on voyage beaucoup quand on est aventurier – on regarde tout avec naïveté, le moindre type balafré vous impressionne, le plus petit monstre vous en impose. Tout n’est que « Waohh ! » et « Incroyable ! ». Et puis les balafrés et les monstres se font légions et plus rien ne vous surprend. Je ne dis pas qu’on n’a pas de plaisir mais la surprise est rare.
Remarquez, il y en a que ça rassure. J’en ai vu des pantouflards qui n’aimaient pas être pris par surprise. Ça me rappelle la fois où j’étais possédé par un démon – c’était une idée du Maître, moi je subissais, en me marrant mais je subissais – et le démon jetait des sortilèges très puissants par mon intermédiaire. Un de mes camarades qui ne savait pas que j’étais possédé mais qui savait additionner un plus un s’est dit «Ça n’est pas possible ! TU NE PEUX PAS FAIRE CA !! ». Il était désemparé, le Maître avait fait un truc original qui dépassait ses limites de tolérance.
Enfin tout ça pour dire qu’une petite surprise bien placée est plus créative qu’une trop grande démesure.
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