Vous êtes dans une auberge (Episode 6)

Vous êtes dans une auberge (Episode 6)

La mort, un mauvais moment à passer.

 

Ça fait un bout de temps que je ne vous ai pas causé de mes histoires d’aventurier. Oh ! Hé ! Toi ! Ne lève pas les yeux au ciel. Tiens, c’est ma tournée, comme ça vous allez m’écouter.

Ca faisait déjà un moment qu’on bourlinguait mes compagnons et moi. On avait déjà eu notre content de massacres et de blessures mais on avait amassé un joli pécule… qu’on s’était empressé de dépenser en matos pour être encore plus forts. Objets et potions magiques essentiellement. Ca coûte toujours cher ces trucs là. D’ailleurs je me suis toujours demandé qui étaient les types qui les fabriquaient. Ils devaient être sacrément riches ces gars là. Mais là n’est pas le sujet. Donc, une fois de plus nous voilà embarqués dans une quête incroyable. Je dis incroyable mais c’était notre routine. Comme d’habitude, j’étais devant à faire le ménage à grand coups de hache. L’affaire avançait bien, le soigneur du groupe me collait aux fesses pour me maintenir en forme et les mages arrosaient les ennemis avec tout ce qu’ils avaient comme magie qui faisait mal. Bien sûr, auparavant, ils m’avaient blindé à coups de protections diverses, bénédictions, force augmentée, enchantements des armes. Tout ce qui va bien. J’étais en confiance malgré les grosses bêtes qui m’attaquaient. Là, surgit le big boss, le méchant magicien entouré de ses sbires les plus balaises. C’était pas la première fois que j’en voyais mais je n’étais pas tranquille. Ces gars là sont retors et vous réservent de méchantes surprises. Nos magiciens n’ont pas attendu que le lascar nous fasse son discours de « grand méchant », ils lui ont balancé l’équivalent du trésor royal en magie destructrice en tout genre. C’était pas très fair-play de ne pas lui laisser placer son texte mais, que voulez vous, parfois il faut ranger le panache de côté et se la jouer mesquin. Je n’allais pas leur reprocher. Mais ce coup là ça n’a pas fonctionné. Le magicien noir – les méchants ont souvent le titre de Noir, vous verrez, c’est un indice. Un gars qui a noir dans son titre, c’est un gars suspect – était toujours là frais comme un gardon. En fait c’était un gros pro de l’anti magie. Donc tous les trucs des copains étaient tombés à l’eau. Vexé de ne pas avoir pu placer son discours et voyant que je me frayais un chemin vers lui, il a préféré me jeter un sort. Il a dû se dire qu’on était mauvais public et qu’il causerai après. Je serre les dents en me disant que, malgré mes protections, ça allait chauffer. Non, rien. Même pas mal. Je n’ai pas eu le temps de me réjouir, je me suis rendu compte que tous les sorts que les copains m’avaient fait avaient disparu. Plus rien. Avant j’étais un vrai sapin de Noël et là, j’étais à poil. J’avais toujours ma cotte de maille et ma hache mais plus un pet de magie pour me protéger et me booster. D’un coup ça devenait moins rigolo. Surtout que monsieur l’orateur vexé me lançait ses sbires, du moins ceux qui n’avaient pas été atomisés par les sorts de zone de mes confrères. Pour faire bonne mesure, il a étendu sa zone d’anti magie à toute la pièce, tous mes potes magiciens n’avaient plus qu’à sortir leurs canifs pour se défendre. C’est pathétique un magicien sans sa magie. Ca crie, ça court, ça donne des coups avec ses petits poings frêles. En résumé, ça ne vaut plus rien.

De mon côté, ça tournait au vinaigre. Les sbires qui avaient résisté étaient les plus costauds. J’en prenais plein la poire. Et ce qui devait arriver arriva : je me suis fait tuer.

 

Enfin, c’est ce qu’on m’a dit. Moi je ne me souviens pas de grand-chose. Toutes les histoires de tunnel et de lumière au bout ou de dieux qui vous accueillent, tous ces trucs, je les ai pas vu. Ce dont je me souviens c’est le gros baraqué qui me tapait dessus comme un sourd. J’avais beau ne pas être un manche en combat, sans la magie, il a fini par me buter. En résumé, si je devais dire quelque chose sur la mort, c’est que ça fait mal. Et quand on se réveille on se sent fourbu.

 

Ben, oui, je parle d’après. Fourbu c’est après. Forcément, sinon je ne serai pas là pour vous le raconter. J’ai été ressuscité ! Ah ! Tout de suite, ça fait classe, hein ?! Boah, vous savez, c’est pas si terrible que ça. La première fois, oui, on s’enorgueillît mais les fois suivantes, on trouve ça lassant. Le premier coup, je me suis dit que j’avais peut-être raté un truc, que j’aurais dû être attentif. La lumière au fond du tunnel, j’avais sûrement dû la rater de peu. J’ai même engueuler les copains en leur reprochant de m’avoir ressuscité trop vite. Je ne vous raconte pas le retour de bâton ! Les reproches sont tombés illico !

Je vous raconte le réveil :

Tac ! Je meurs. Ma dernière image c’est la masse du costaud qui m’arrive direct sur la tête. Je rouvre les yeux, je suis dans un lit bien chaud avec un vieux barbichu que je ne connais pas en train de dire « Ca y est, il est sauvé, ça fera 20 000 pièces d’or. » Pile après ça j’entend les autres, mes potes, qui étaient juste derrière bougonner et marchander avec le vieux. Je m’assois sur le lit un peu vasouillard ; personne ne s’occupe de moi, ils sont tous autour d’une table en train de discuter. Je leur demande « Hé les gars ! Qu’est-ce qui s’est passé ? On est où ? » Le nécromancien de l’équipe vient me voir et me dit « On est en ville, tu viens d’avoir une résu. »

Conseil technique : n'attendez pas la dernière minute pour payer la résurrection de la bimbo du groupe, vous risquez la déception...
Conseil technique : n’attendez pas la dernière minute pour payer la résurrection de la bimbo du groupe, vous risquez la déception…

 

Je fais un petit aparté. Il faut que je vous explique quand même que dans ma bande de potes, mon groupe pour utiliser le terme technique en vogue chez les aventuriers, on avait deux nécromants. Je sais, ça fait groupe de pourris mais, non, ils étaient sympas ! Un peu porté sur l’humour noir et avec des mœurs tordus mais on s’entendait bien. Je fermais les yeux sur leurs petites magouilles et ils me laissaient jouer au chevalier vertueux. J’étais leur caution morale. Et on pouvait décrocher des contrats de « bons ». Voilà, faut pas juger trop vite. Je les aimais bien mes deux copains nécros.

 

Je reviens à mon histoire : le nécro me raconte comment ils ont réussi à s’en sortir malgré que je me sois fait démouler. Ca s’est fini tout juste. Objets magiques surpuissants, invocation de morts vivants, coups de putes et compagnie, ils ont fini par buter le pourri d’en face. Vous imaginer l’histoire, avec le climax qui va bien, tout le monde croit qu’il va mourir et ça se finit bien dans les dernières secondes. Enfin pour eux. Moi j’étais mort. Donc retour en ville fissa, après avoir pillé le château de l’affreux d’en face, pour pas que je finisse plein de vers. On connaissait de réputation un type qui faisait des résurrections. Super cool. C’était le vieux barbichu.

C’est à ce moment précis que j’ai fait ma petite sortie sur le fait que je n’avais rien vu pendant que j’étais mort, que si ça trouvait, j’aurais pu rencontrer les dieux et tout le tintouin. Le nécro a un peu râlé en me disant que s’ils avaient su, ils ne se seraient pas emmerdés à trimballer mon corps pendant 2 jours et qu’ils auraient eu une part de trésor plus importante, qu’il aurait pu me transformer en mort vivant, j’aurais moins fait le malin. J’ai pas insisté, c’est vrai que je me préférais vivant et entier qu’en zombie.

 

Dès que j’ai été debout, j’ai voulu m’équiper pour repartir, on n’allait pas rester dans la turne du soigneur. Vu ses tarifs de résu, j’imagine que la nuit chez lui devait coûter un bras. Encore une expression qui devait le faire marrer vu qu’il faisait repousser les membres perdus aussi. Bref, je veux reprendre ma cotte de maille enchantée, je cherche. Elle n’était plus là. Je m’étonne. Les autres ont des regards fuyants et c’est notre soigneur elfe qui m’annonce : « Ben, tu comprends, la résu, ça coûte bonbon, on a dû vendre une partie de ton matos pour te relever… »

Sur le moment ça m’a paru logique mais il ne m’a pas fallu longtemps pour remarquer que eux, ils avaient tout leur matériel, voire des trucs nouveaux. Je leur dis que ce sont des enfoirés, qu’ils auraient pu prendre sur la part commune plutôt que me dévaliser, que, si c’était comme ça, je ne prendrai plus le risque de leur servir de bouclier, que c’était des planqués. Je peux vous dire que je n’étais pas content ! Mourir, d’accord mais qu’en plus je paie pour ça, alors là non ! Et ne me parlez pas de la magie du retour à la vie, de la beauté de la lumière renaissante et de toutes ces conneries pour elfes des bois. Ca m’avait coûté ma cotte de mailles enchantée ! Je voulais bien être chevaleresque mais là ils touchaient à mon portefeuille. Je ne suis pas nain mais il y a des limites à la décence. Avec un air fautif, l’elfe m’a sorti le livre de compte qu’il tenait. Il m’a baratiné sur le bilan financier de l’expédition, les coûts de progression, les retours sur investissement, surtout les fioles de soin qui nous bouffaient notre marge. Je finis par me calmer mais j’avais repéré un poignard qui m’avait l’air bien magique à la ceinture d’un de nos deux nécros, le même que j’avais vu à la ceinture du mage pourri qu’on avait affronté. Je le pointe du doigt et dit « Et ça ? C’est pas perdu pour tout le monde ! Pourquoi vous ne l’avez pas vendu ? Ca doit valoir de la tune, non ? » Le nécro m’a regardé avec un sourire de pervers sadique et m’a dit « C’est maudit, ça ne peut servir qu’à des mages alignés dark, c’est invendable et de toute façon si tu me le prends, le poignard t’assassinera tout seul et reviendra à ma ceinture. Tu veux essayer ? Mais ce coup-ci on n’aura pas les moyens de te ressusciter. »

J’ai jamais été certain qu’il ne mentait pas mais, dans le doute, j’ai préféré éviter de tester.

 

Je refais deux apartés : un pour vous expliquer que, oui on avait un soigneur elfe mais qu’il n’était pas assez bon pour faire des résurrections et qu’en plus, dans ce monde là, du moins d’après ce qu’il nous disait, c’est ballo, les elfes n’ont pas le pouvoir de résurrection sous le prétexte que ce sont des entités à longue durée de vie ou je ne sais quoi. Moi je pense qu’ils sont trop fainéants pour apprendre ça, c’est tout. Le deuxième, c’est pour dire quand on dit dark, c’est comme noir, sombre ou de-la-mort, forcément c’est un truc de pourri.

 

Voilà, les gars, ma première expérience avec la mort, la mienne du moins, parce que celle des autres c’était devenu commun. Après mes décès et les résurrections qui les suivaient sont devenus assez routiniers, voire lassants. Je n’ai jamais vu de trucs incroyables en mourant. Pourtant j’ai été voir des religieux mais, bof, malgré leurs explications et les prières qu’ils m’ont fait apprendre, rien de rien. C’est décevant, hein ?

 

On a fini par faire des accords au sein du groupe pour la gestion financière de toutes ces résurrections. C’était un sacré défi budgétaire !… L’aventure n’était pas vraiment là où on le croyait. Celui qui a dû le plus s’enrichir au cours de nos grandes années d’aventuriers ça devait être le petit barbichu. Mais pour vous dire qu’on ne se posait pas beaucoup de question : à aucun moment, pas un d’entre nous, même pas les nécros n’a eu l’idée d’aller braquer le vieux. On préférait s’en prendre plein la gueule contre des monstres infâmes, coucher à la dure, mal bouffer, se faire maudire et, de temps en temps, mourir plutôt que de braquer le petit vieux qu’on avait rendu millionnaire ! On était jeunes, insouciants et… J’allais dire un peu cons, mais je crois que c’est pas ça. En fait,  ça faisait plaisir à nos géniteurs. Si ça avait été trop simple, je crois qu’on se serait vite emmerdés.

Comments are closed.