Le grandeur nature au service du jeu de rôle sur table ! One more time !
Comme l’an dernier, j’ai participé à un GN organisé par mes amis de l’association Alter Ego. Une fois de plus, ce fut un immense plaisir et une expérience qui m’a amené à réfléchir à la pratique du jeu de rôle sur table.
Je ne reviendrai pas sur les qualités d’Alter Ego et de ses organisateurs, je me suis déjà épanché sur le sujet dans l’article de l’an passé – voir l’article Le Grandeur Nature au service du jeu de rôle sur table !  – et, à force, leur modestie risquerait d’en prendre un coup.
Tout d’abord, de petites précisions : n’ayant pas d’autre expérience que celle proposée par Alter Ego, je ne saurais dire si les autres organisations de GN exercent leur pratique à l’identique et conséquemment, mes élucubrations rôlistiques seraient peut-être différentes après avoir joué avec d’autres. Il en est de même pour le jeu sur table. Nous avons tous notre vision du JdR et j’imagine que les réflexions qui vont suivre n’intéresseront pas tous les rôlistes, voire en feront grimper certains aux rideaux. Ma pratique est de moins en moins simulationniste, m’orientant plutôt vers un jeu plus fluide et plus narratif.
Le GN a des règles souvent très simples mais suffisantes pour ne pas ralentir le jeu, et discrètes au point qu’elles deviennent invisibles aux mains de joueurs expérimentés – et de bonne volonté ! –.
Même postulat autour d’une table. Une règle simple est rapidement apprise, elle évite les discussions oiseuses du type « Pour tirer à l’arc, je me mets à genou pour avoir le bonus de +3.5% mais quel est la force du vent parce que j’ai un arc customisé qui ne m’apporte un bonus que par calme plat ?  » S’en suit une réponse tout aussi oiseuse de la part du MJ, plus une éventuelle consultation des règles dans un manuel de plusieurs centaines de pages. Le détail c’est bien mais il ne doit pas prendre le pas sur le plaisir de jouer… Un rôle, parce que nous sommes bien là pour cela. Si l’on veut des règles pointues, autant faire des jeux de plateau ou des wargames. De toute façon, à un moment ou un autre, joueurs et MJ seront confrontés à un problème qui n’est pas dans les règles et qu’il faudra interpréter en fonction du bon sens – où de l’arbitraire du MJ, ça arrive des fois…–.
Pour que des règles simples restent discrètes et ne tombent pas dans des interprétations absurdes, il faut des joueurs qui veulent bien se prêter à cet exercice, je veux dire par là des joueurs qui privilégient le bon sens, le goût du jeu, qui savent faire abstraction des lacunes de la règle, qui évitent de parler chiffres et jouent leur rôle à fond. Pareil pour le MJ.
Pour illustrer mon propos, je me permets une anecdote tirée de mon dernier GN :
Je jouais un médecin, d’autres joueurs plus expérimentés que moi aussi – Petit clin d’œil aux deux médecins Faiseurs, qui m’ont époustouflé par leur gameplay de qualité –. Nous voilà confrontés à des blessés. L’un d’eux hurlait, paniqué, qu’il craignait d’être empoisonné, un autre, qu’il allait mourir se vidant de son sang, bref, il nous fallait agir. Mon premier réflexe, en joueur habitué à une table de jeu, a été de chercher un organisateur – sur table, on dirait « demander au MJ  » – pour le questionner sur la nature des blessures, savoir s’ils étaient empoisonnés ou non, etc. Les deux autres médecins ne se sont pas posés ce genre de question hors jeu , ils ont tenu leur rôle de médecin. Ils ont simulé des soins, prenant du temps, interprétant les informations données par les blessés et leur donnant les réponses qu’ils estimaient correctes. Après tout, qui leur aurait reproché de jouer avec talent ? Si cela avait eu une importance primordiale, un organisateur aurait été là et aurait corrigé leurs interprétations ?
Je crois qu’on peut faire de même autour d’une table. Le MJ peut se contenter d’intervenir uniquement si l’action proposée par les joueurs lui semble irréalisable. Quel intérêt pour l’histoire d’ergoter pour +2% par-ci ou -3% par là  ? Si le joueur est raisonnable, connaît bien son personnage et veut participer à l’intrigue, il ira sans doute lui-même se mettre des difficultés : « J’arrive à te maintenir en vie pour l’instant mais il faut que l’on trouve un hôpital d’ici 2 heures.  En prenant le tout-terrain de Bob et en passant par la zone contaminée, c’est jouable. » C’est quand même plus sympa qu’un « Jet raté, il ne récupère pas ses PV. » Non ?!
La barrière entre le jeu de rôle grandeur nature et le jeu de rôle sur table existe mais on peut passer de l’un à l’autre sans trop d’effort.
L’exemple du chapitre précédent illustre aussi l’intérêt du rôle, pas la feuille de personnage, non, le rôle. Qui suis-je. Qu’est-ce qui me motive. Comment je me comporte. Pas besoin d’écrire 20 pages de background mais avoir suffisamment d’éléments pour apprécier le personnage, avoir envie de se l’approprier et de s’investir dans son histoire. Aller plus loin que simplement subir ce qui se passe. Pour cela il faut un investissement dans le personnage de la part du joueur mais aussi du MJ.
En GN, les organisateurs connaissent autant, voire mieux le personnage que le joueur – surtout les secrets que le joueur ignore évidemment –. Pareil en JdR papier. Un MJ qui peut ressortir une histoire tordue du passé ou qui met en valeur un trait de caractère d’un PJ, cela fait toujours plaisir au joueur mais cela nourrit l’histoire, la rend plus crédible, fournit matière à rebondissement.
En résumé, le MJ ne doit pas se focaliser sur son scénario ou sur les règles mais aussi sur les personnages. Et si les joueurs s’impliquent dans leurs personnages, on peut générer de passionnantes histoires.
Devinette : où cette scène a t-elle été photographiée ? A- Au cirque Pinder B- A un festival rock C- Au GN d’Alter Ego « Gazoil maudit » en 2015
C’est la remarque d’un organisateur du GN qui m’a amené à écrire ce chapitre : « Vu que tu ne sais pas ce que feront tes joueurs, tu multiplies les options pour atteindre un objectif. Ca n’est pas bon de ne laisser qu’une possibilité, tu risques d’avoir un blocage. Soit parce que les joueurs n’y pensent pas ou ne veulent pas le faire, soit parce que le PNJ – ou PJ – important se fait tuer ». C’est ce que j’appelle l’effet entonnoir.
Mettez un caillou dans l’entonnoir et plus rien ne coule.
C’est un effet pervers, en tant que MJ, d’imaginer que les joueurs vont faire une action bien précise, celle qui fera avancer le scénario. Le point de passage OBLIGATOIRE. C’est facile, linéaire et… très dangereux ! L’écriture détaillée d’un scénario s’avèrant quasiment impossible, il vaut donc mieux lister les pistes possibles. Se contenter de les décrire sommairement mais s’assurer qu’il y en ait plusieurs pour éviter l’effet entonnoir. En plus, il y a de grandes chances que vos joueurs fassent un truc pas prévu, donc rien ne sert de trop détailler mais mieux vaut préparer de multiples bases pour improviser.
En plus de m’avoir bien amusé, ce GN m’aura apporté quelques idées qui, je l’espère, pourront vous aider. Reste à tenter de mettre tout cela en pratique. Vos retours d’expériences sont toujours les bienvenus !
Non, mais…
Non, mais…
Quand on utilise le hasard des dés dans une partie de jeu de rôle, la malchance des joueurs entraîne parfois des situations frustrantes et inintéressantes. Une solution constructive, empruntée au jeu « Wastburg »* est ce que j’appelle le « Non, mais… ».
A l’ancienne : des règles et des dés
Ma réflexion vient d’une partie du « Trône de Fer »** ou trois de mes joueurs participaient à un tournoi.
J’avais prévu les adversaires et les différentes phases de combat par lesquels ils allaient passer. Statistiquement deux au moins devaient aller assez loin.
Habituellement nous utilisons parcimonieusement les règles. Par soucis de commodité, pour l’occasion, j’avais fait une règle simplifiée pour ne pas noyer la partie sous trop de jets de dés. Pour le personnage moins expérimenté, j’avais décidé d’utiliser la règle complète vu qu’il était faible et que seul de bonnes décisions additionnées d’un coup de chance lui permettraient de remporter une joute.
Loi de Murphy
Nous voilà tous prêt pour un moment épique, tout en favorisant la narration sur les jets de dés, comme nous aimons le faire. Et là , patatras ! Les bons jouteurs perdent suite à de mauvais jets et le PJ faiblard fait carrément un raté critique, blessant le cheval adverse et l’excluant du tournoi.
Au fur et à mesure de la partie, face à la malchance incessante de mes joueurs, j’ai dû faire face à un dilemme auquel je n’ai pas trouvé de réponse satisfaisante. Et, conséquemment, que j’ai mal réglé.
Le dilemme
Les échecs répétés de mes joueurs mettant à mal l’ambiance épique et l’intérêt du tournoi je me trouvais face à deux choix – du moins, ai-je cru qu’il n’y avait que deux choix – :
Mauvaise solution
Tricher aurait servi à quoi ? Si les joueurs s’en étaient rendus compte, ils auraient été désabusés. Qui plus est, cela n’aurait été qu’un compromis pour faire durer le tournoi. J’ai donc choisi d’appliquer les résultats et me focaliser sur les autres événements. Mais au bout du compte, j’ai eu le désagréable sentiment d’avoir mal géré la partie. Mon intransigeance et l’utilisation de la règle dans toute sa rigidité étaient la cause de mon échec. Il ne me restait plus qu’à trouver une solution me satisfaisant pour d’autres parties de ce type.
Une alternative constructive
Après réflexion, je me suis souvenu d’un point de règle du jeu Wastburg : lors d’un échec il est possible d’avoir un résultat du type « Non, mais… ». Une façon élégante d’annoncer un échec en laissant la porte ouverte à un rattrapage ou à d’autres possibilités.
Je me suis également souvenu d’une règle de base d’improvisation théâtrale, celle de l’acceptation. Dire non à une proposition met fin à l‘histoire. L’acceptation donne plutôt une réponse du type « Oui, mais… » Néanmoins l’esprit est le même : pour permettre à l’histoire de continuer, il faut laisser une porte de sortie au joueur.
Mise en pratique
Dans le cas qui me préoccupe, j’aurais dû, lors des échecs, augmenter la tension tout en laissant la possibilité aux joueurs de se rattraper : « Tu es touché, gravement choqué, mais tu récupères alors que ton adversaire se pavane sous les applaudissements de la foule. Ces quelques instants de répit sont salvateur pour toi. De plus l’adversaire, mis en confiance, baisse un peu sa garde. »
Autre possibilité : « ton bouclier explose sous la violence du coup. Tu n’as rien mais tu comprends que tu as affaire à un adversaire coriace. » En résumé, mauvais dé, mais…
Dans tous les cas, seul compte le résultat du dé du joueur, celui qu’il voit, celui qu’il a jeté. C’est ce dé qui déterminera la réussite ou l’échec mais un échec avec la possibilité de se racheter. Un échec qui ne doit servir au MJ qu’à accentuer le côté dramatique et épique… Pas à faire passer les PJ pour des guignols incapables.
Derrière son paravent, le MJ peut toujours jeter des dés pour avoir un ordre d’idée de l’action de ses PNJ – du bruit derrière le paravent comme disait Gary Gigax – mais la partie n’en sera que meilleure s’il privilégie l’histoire au hasard.
Vous allez me dire « A quoi servent les règles dans ce cas ? » Selon moi, elles ne servent qu’à donner un cadre, une échelle, à éviter les débordements. Si on fait le parallèle avec un bâtiment, la règle représente les murs et le toit, mais l’aménagement intérieur est de la responsabilité de ses occupants, le MJ et les joueurs en l’occurrence.
*Wastburg. Jeu de rôle adapté du roman de Cédric Ferrand. Edition les XII Singes
http://www.les12singes.com/wastburg/12-wastburg.html
**En utilisant les règles largement modifiées de Le Jeu de Rôle du Trône de Fer (éditions Edge Entertainment)