Les métiers 5 : les métiers du livre.
1ère partie : Avant l’imprimerie
Qui n’a pas joué un investigateur, le nez dans les ouvrages d’une bibliothèque poussiéreuse ? Mais rarement nous nous posons les questions sur la production du support et le réseau de distribution qui a amené ce livre sur ces rayonnages. Fabrication, reliure et couverture demeurent des inconnues qui, pourtant, peuvent être des éléments de scénarios intéressants.
J’ai choisi pour alléger l’article de le découper en deux parties : avant et après l’imprimerie. Je n’aborderai pas le travail d’écriture, du simple copiste en passant par l’enlumineur et l’auteur d’ouvrages qui nécessiterait en lui-même un article complet.
Raisons d’être
Si on remonte dans le passé, plutôt que des métiers du livre, il vaudrait mieux parler des métiers « des supports de l’écriture ». Tablettes d’argile, peaux, ossements ou carapaces d’animaux, papyrus et papier. Et là, il n’est question que des supports transportables. On pourrait aussi parler des inamovibles : bâtiments, stèles, arbres ou sols. Mais nous changeons de sujet.

De tous temps, il aura fallu des artisans pour confectionner des supports à l’écriture. Et plus on a voulu faire des supports pratiques et durables, plus la technique s’est perfectionnée au point de nécessiter des spécialistes recherchés. Qui plus est, comme l’écriture a tendance à être réservée à une « élite » intellectuelle, politique ou religieuse, la production de ces supports est supervisée par ces même «élites ».
En terme de JdR comment traduit-on tout ce blabla ?
Si vous jouez un fabricant de parchemin ou un relieur, vous serez choyés par la caste des écrivains qu’ils soient hommes de pouvoir ou religieux mais vous risquez d’être aussi surveillés, contrôlés afin que votre production ne tombe pas entre de mauvaises mains.
Imaginez que l’on reconnaisse le papier que vous êtes le seul à fabriquer comme support à des écrits magiques hérétiques, cela risque de vous attirer des ennuis.
Dans des univers où la magie passe par le support écrit, on peut concevoir que le fabricant de parchemin utilise des composants rares, ait lui-même des dons magiques rendant le support papier indestructible ou permettant l’enchantement de celui-ci. A défaut de dons magiques, les pratiquants des Arcanes lui demanderont certainement de protéger leurs livres contre les éléments ou le vieillissement. Là aussi, les secrets de fabrications apporteront de la notoriété à l’artisan et une clientèle de choix.
Les lieux et le matériel
A part pour les moyens les plus primitifs – os gravés –, il faut un atelier conséquent. Pour la fabrication du papier, par exemple il faut de l’eau en quantité, un moulin, des machines, bref des moyens que seuls des gens fortunés peuvent s’offrir. Les installations sont donc rares et souvent en situation de monopole.
Fabriquer du papier n’est pas une activité qu’on peut faire au coin du feu, le soir lors d’une chasse aux monstres. Elle trouvera plus son utilité dans une campagne plus statique ou comme décor d’ambiance.
En revanche, un PJ ayant des compétences en papeterie ou en reliure peut tirer profit de ses connaissances pour dater le papier ou savoir d’où il provient, qui a relié l’ouvrage, voire quelle route commerciale il a emprunté et conséquemment par quelles mains il a pu transiter.
Activités en amont
On trouve les fournisseurs de matière première – os, argile, bois, cire et fibre végétale –. Toute une gamme de petits métiers participe à l’obtention du matériau de base. On rencontre ainsi les chiffonniers, récupérant les vieux vêtements pour les revendre aux papetiers. Exerçant leur métier au contact des bas fonds de la société, ils peuvent, dans le cadre d’un scénario d’enquête, apporter les vêtements d’une victime d’un meurtre, permettre d’entrer en contact avec la pègre ou être des indicateurs discrets.
Activités en aval
Plus prestigieux que les chiffonniers, les clients sont, comme dit auparavant, des gens de pouvoir – marchands, religieux, politiques –. C’est l’occasion pour un PJ de côtoyer du « beau monde » et de connaître quelques secrets sur leurs besoins.
« Tiens, le collège de magie noire a commandé deux cent feuilles de parchemin pour faire des enchantements. Quel mauvais coup préparent-ils donc ? »
« La guilde marchande veut du papier avec le filigrane qu’on fait spécialement pour elle, ce papier de luxe qu’elle commande uniquement pour leurs accords commerciaux avec des cités étrangères. Les rumeurs disant que des accords secrets avec une cité rivale seraient donc vraies ? »
Activités annexes
Ce chapitre est un fourre-tout car les options sont variées suivant le support choisi.
Quelques exemples, sachant qu’à chaque fois des métiers annexes peuvent y être attachés ; les détailler serait trop long mais les lecteurs sauront les trouver eux-même :
– L’argile ou la pierre : on peut imaginer qu’en plus de ce qu’on y inscrit, la forme de l’objet a une signification.
– Le papier peut servir à remplacer le verre des fenêtres ou à faire des diffuseurs de parfum. On peut en recouvrir les textes pour les réutiliser – les palimpsestes – et ainsi un texte peut en cacher un autre.
– Les couvertures des livres peuvent être des objets en soi. Matériaux divers – bois, métal, peau… –, caches secrètes, systèmes de fermeture à cadenas ou à code, décorations coûteuses – or, bijoux incrustés… –, moult variantes sont possibles.

Source: Plate XXIV. The S.S. Teacher’s Edition: The Holy Bible. New York: Henry Frowde, Publisher to the University of Oxford, 1896.
Idées de personnages
Des backgrounds de PNJ ou de PJ.
- Le vieux maître. Cela fait maintenant quelques années qu’il a perdu la vue mais ses longues années de maître papetier l’ont amené à connaître tous les fabricants du monde connu. Maintenant, le toucher, l’odeur et le bruit d’une feuille lui suffisent pour qu’il sache qui l’a fabriquée et quand. Certains disent qu’il communie avec ses anciennes créations et qu’il peut voir au travers d’elle, qu’il peut même influencer leur propriétaire.
- L’écorcheur. C’est une brute, un barbare. Mais après avoir tué une créature, le sauvage laisse la place à l’artisan soigneux qui retire la peau de sa victime et la traite pour qu’elle accueille des écrits. C’est toujours avec anxiété que les nobles de la cour voient arriver ce géant hirsute, armé de sa masse à deux mains, quand il vient livrer le conseiller-thaumaturge du roi en peaux de manticore – seul support qu’il tolère. Mais pourquoi ? –.
- Sœur-des-secrets. Au fond du monastère, elle prépare les livres qui accueilleront tous les écrits religieux du monde connu. Les multiples fils aux couleurs chatoyantes qui embellissent les ouvrages et servent de marque page complètent une reliure de qualité. Ce que ne savent que Sœur-des-secrets et les prélats, c’est que les fils de couleur sont un habile et complexe moyen de communication entre les hautes autorités religieuses. Le code tient compte des couleurs des fils et des pages où ils sont placés. Sœur-des secrets, quand elle ne travaille pas au monastère, parcourt les communautés religieuses pour livrer ses ouvrages. Ainsi, elle connaît tous les messages secrets que s’échangent les religieux de haut rang.
Idées de lieux
- Les tablettes d’argile de Port-carrière servent de monnaie d’échange dans ce petit pays, embryon de civilisation du monde sauvage. On ne trouve un argile d’un blanc si pur qu’à Port-carrière, petit ville fortifiée par un muret de terre abritant la carrière d’argile, les ateliers des façonneurs et le port qui permet sa diffusion dans tout le pays. Les marchands viennent au comptoir des clercs de l’administration – appelés les clercs aux mains blanches – pour faire inscrire les échanges commerciaux, les contrats et leurs investissements sur les fameuses tablettes. La tablette est ensuite brisée en deux, chaque partie du contrat en recevant un morceau.
- Le grand moulin. Situé sur un pont qui traverse une large rivière, le grand moulin est divisé en deux même si une puissante roue, unique et centrale, active ses deux fonctions. D’un côté se trouve la papeterie, ses bacs d’eau courante et ses piles à maillet et, de l’autre, la minoterie. Certains jours d’affluence, on peut assister à la joute verbale qui oppose d’un côté les paysans venus porter leur grain et, sur l’autre rive, les chiffonniers venus alimenter la papeterie. La garde affectée au pont prend bien soin d’en interdire le passage pour éviter les échauffourées ces jours là. Néanmoins, de temps à autre, des barques traversent la rivière soit pour commercer soit pour s’affronter dans des joutes nautiques qui parfois finissent mal.
En complément
Sur le sujet, on trouve ce très bon article d’Isabelle Gregor sur le site Hérodote, article qui m’a en partie inspiré
L’écriture : du papyrus à la tablette tactile
Ainsi que cet article d’André Faurie sur le site du CERIG
http://cerig.pagora.grenoble-inp.fr/histoire-metiers/livre-reforme/page02.htm
Super article, très inspirant ! 🙂
Merci !