Mon précieux ! Le mythe du trésor.
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Des mines du roi Salomon au trésor des Templiers en passant par les innombrables trésors pirates, les trésors ont de tout temps fasciné les hommes. Il était logique que ce mythe soit retranscrit dans le jeu de rôles. Omniprésents, les trésors sont traités d’une façon parfois absurde, même à travers des tables aléatoires. Sans faire un inventaire des formes qu’ils peuvent prendre, j’aimerais par cet article aborder la raison de leur existence d’un point de vue logique.
On peut d’ores et déjà distinguer plusieurs catégories :
- Les richesses. Or, argent, pierres précieuses.
- Les objets artistiques. Statues, tableaux, tapisseries.
- Les objets utilitaires de luxe. Vêtements, bijoux, objets de culte, symboles d’autorité – couronne ou sceptre.
- Les objets sources de culture. Livres et tout support apportant des connaissances, voire livrant des secrets – de la peinture rupestre à  l’enregistrement vidéo.
- Les objets magiques ou technologiques. Tout dépend de l’univers de jeu.
- Les lieux et constructions d’exception. Soit par leur caractère unique – la tour Eiffel –, soit parce qu’ils apportent richesse – mines du roi Salomon – ou quelque chose de rare – une usine dans un monde apocalyptique.
… et tous les inclassables, que ce soit les herbes enchantées, les matériaux précieux comme l’uranium, les objets rares, symboliques et inutiles – la première édition de mes mémoires ou un maillot de Zidane. On peut aussi considérer comme trésor les êtres vivants – élevage de chevaux, esclaves – ou des terres. Des considérations que l’on peut retrouver dans les articles l’héritage 1 et 2 habilement écrits par moi-même–.
Les catégories se chevauchent parfois : ainsi la bibliothèque d’Alexandrie, à la fois construction unique, source de savoir et richesse.
Il faut distinguer deux façons de traiter ces catégories : les trésors dont on fait usage et ceux qu’on n’utilise pas.
Cette distinction est importante car elle doit amener le MJ à se poser une série de questions à chaque fois qu’il veut mettre un trésor :
- Celui ou ceux qui possèdent ce trésor en ont-ils l’usage ?
- Si non, pourquoi le possèdent-ils ?
- Si oui, il faut penser à le mettre en valeur. Un guerrier qui possède une épée enchantée la porte et l’utilise contre ses adversaires. Il serait ridicule qu’il la garde dans un coffre sauf s’il ne sait pas s’en servir, si c’est une épée familiale qu’il a peur de casser, s’il l’a volé et ne veut pas qu’on le voit avec, etc. C’est le sujet du chapitre «Le trésor inutilisé ».
- Dans quel but est conservé un trésor qui ne sert pas ? Je crois que c’est la question principale. Si le MJ n’a pas de réponse, il doit se dire qu’il y a un problème à son histoire.

Le trésor inutilisé.
C’est le cas le plus fréquent mais qui doit nécessiter une justification pour ne pas paraître ridicule. Combien de monstres dorment sur des tas d’or et d’objets magiques sans qu’on sache pourquoi ? Prenez le dragon de Bilbo. Ok, il est cupide et fasciné par les richesses. Déjà là c’est scabreux mais admettons. On peut se demander comment il a fait pour tout emmener dans sa caverne avec ses grosses pattes. Il a du en chier pour prendre les pièces d’or une à une. Je ne parle même pas des éventuelles potions magiques en cristal ! Il y a du y avoir de la casse. Pour les potions, d’ailleurs comment fait-il la différence entre une fiole de soin et la topette de gnole qu’un bon guerrier nain emmène avec lui ? « C’est un dragon, il sait que c’est magique ! ». Mouais, ok… On va faire comme si on y croyait. Et cette épée vorpale plus tranchante qu’un cutter ? Il ne s’est pas blessé en la ramenant dans son antre ? Je vous dit que c’est un DRAGON ! Il est super habile de ses doigts, enfin de ses griffes…. D’accord, le dragon mythique explique tout. Mais si l’on prend un autre monstre moins prestigieux, plus pataud, la crédibilité du MJ en prend un coup.
Une suggestion : imaginer l’histoire de ce trésor. Qui le possédait avant qu’il n’arrive là ? Pourquoi l’avaient-ils ? Etaient-ils plusieurs ? Comment celui qui le possède maintenant l’a t-il acquis ? Pourquoi l’a t-il gardé – Je me suis toujours demandé pourquoi des monstres débiles gardaient des pièces d’or plutôt qu’une carcasse de cheval bien saignante? Si l’on se met dans le contexte ultra classique du groupe d’aventuriers qui s’est pris une raclée par un monstre, comment s’est déroulé le combat ? Pourquoi ont-ils perdu ? Pourquoi n’ont-ils pas utilisé tel ou tel objet magique ? D’ailleurs, ce groupe n’avait-il pas tout un tas d’autres objets moins précieux avec eux ? Ne devrait-on pas trouver du matériel de voyage ? Ou 100 m devant la grotte un campement abandonné ? Des selles usagées, un vieux chaudron, des sacs éventrés par les animaux de la région venus se nourrir ? Bref, votre histoire doit commencer avant l’arrivée de vos PJ. Cela crédibilisera l’histoire de votre trésor et peut donner aussi d’intéressants rebondissements.
Un exemple :
Un assassin voyage. Surpris par la nuit, il décide de s’abriter dans une grotte. Pas de chance, un lion des cavernes vit là et l’attaque. L’assassin se fait tuer avant d’avoir pu se défendre efficacement. Le lion le mange. Malheureusement, il avale une des potions que l’assassin avait sur lui. Comme c’était un poison ingestif, il meurt et pourrit au fond de sa caverne à côté d’une partie des effets de l’assassin. Quelques flèches empoisonnées dont l’effet s’estompe avec le temps, une ou deux potions encore intactes, du matériel de voyage plus ou moins endommagé et un très bel anneau orné d’un diamant noir, symbole l’identifiant comme un membre important de la guilde d’assassins de la région. Rapidement des charognards viennent dévorer les restes du lion et de l’assassin. Rats géants, hyènes, ou n’importe quels petits monstres pas trop puissants qui n’auraient pu occire ni l’assassin ni le lion. Les nouveaux arrivants s’installent. Le temps s’écoule et vos PJ passent par là . Vont-ils voir les traces anciennes du lion ? Celles de l’assassin ? Celles des nouveaux venus ? S’ils sont inexpérimentés les nouveaux venus pourront les affronter sans que cette rencontre fortuite ne tourne au massacre – je dis fortuite parce que « rencontre aléatoire » a quelque chose de connoté. Et en plus cela n’a rien d’aléatoire – . En fouillant la grotte, ils découvrent le trésor de l’assassin. Ils peuvent même essayer de comprendre pourquoi ce type était là , vous êtes tranquille, vous avez les explications. Evidemment le plus intéressant est le diamant noir. Vos PJ sont-ils au courant de la signification de l’anneau ? Vont-ils essayer de le revendre ? Quelqu’un de la ville la plus proche, voyant l’anneau les confondra t-il avec un membre de la guilde d’assassins ? La guilde croira-t-elle qu’ils ont assassiné un de leur membres ? De nombreux rebondissements sont possibles. En tout cas le petit combat avec les rats géants ne se finit pas bêtement par «vous trouvez 5 PA, une fiole de poison et un anneau à 500 PO». Votre petit trésor se justifie.
Pourquoi se constitue-t-on un trésor ?
Hormis des personnages comme l’oncle Picsou qui n’ont que la cupidité comme motivation, on peut se demander dans quelles circonstances on en vient à se constituer une réserve de richesses importante :
- Le fruit d’un pillage. Pirates et autres malfrats ont souvent l’habitude de rassembler une grande quantité de richesses suite à une attaque plus ou moins subtile. Attaque de banque, abordage de navire, raid de pillard. Le butin est voué à être partagé dans le futur mais il reste pendant un temps en un seul lot :
â—ŠÂ Par sécurité si on craint qu’il soit identifiable. Un classique des films de gangsters.
â—ŠÂ En attendant d’avoir atteint un lieu tranquille pour le partage. Cela évite que tout le monde parte avec son magot affaiblissant le groupe.
â—ŠÂ En prévision de le revendre à un intermédiaire . Souvent le cas lorsqu’il s’agit de bijoux.
â—ŠÂ Parce que le trésor n’est pas divisible tant qu’il n’est pas revendu. Un tableau de maître.
â—ŠÂ Parce qu’il est trop encombrant et nécessite un moyen de transport lourd. La cargaison d’un vaisseau spatial, les 200 tonneaux d’épices rares.
â—ŠÂ Etant donné qu’il faut attendre des membres du groupe absents. Celui qui a donné les renseignements ou le commanditaire.
â—ŠÂ Car le butin nécessite d’être analysé par un spécialiste. Quand il s’agit d’analyser des objets magiques ou des données complexes par exemple?
- Les finances d’une structure qu’elle soit étatique ou privée. Le traditionnel trésor royal, le trésor des Templiers, une banque ou la cassette d’un marchand.
- Le fruit d’une production. Les lingots d’une mine de fer, la réserve d’un alchimiste, l’atelier d’un peintre réputé.
- Des finances qui ont besoin de transiter. La paie des ouvriers d’une mine perdue au fond de l’ouest américain, le tribut dû à un empereur lointain, les finances d’une armée en campagne. Cette dernière option est à l’origine de l’article. C’est en lisant les déboires du trésor de Napoléon lors de la campagne de Russie que m’est apparue l’idée qu’un trésor n’est pas tel qu’on l’imagine.
- Pour assurer ses vieux jours. Les systèmes de retraite n’existent pas tout le temps. Il peut paraitre logique que certains individus cherchent à s’assurer un avenir. Je parle de « retraite » mais cela peut aussi être pour se protéger en cas de blessure handicapante.
- Pour cumuler les moyens d’une réalisation. La construction d’un manoir, une invention coûteuse, le rachat d’une rançon nécessitent, dans des univers où le crédit n’est pas courant, d’accumuler un trésor. Tant que l’ensemble des moyens ne sont pas rassemblés, cette richesse s’accumule. On peut imaginer que si la réalisation ne peut se faire, le trésor reste assemblé jusqu’à ce que quelqu’un s’en saisisse.
Là aussi, s’écrire une petite histoire peut générer un trésor logique : le professeur Bob veut créer une machine à remonter le temps. Malheureusement personne ne lui fait confiance, surtout pas les banques. Il décide d’accumuler les pièces nécessaires pour son Å“uvre tout en continuant son travail au laboratoire de recherche en physique avancée. Détournant des pièces, dépensant sa paie, volant même d’autres laboratoires. D’ailleurs, c’est lui qui emploie les PJ pour ses coups de main. Quand le professeur meurt de fatigue, il laisse un entrepôt de matériel conséquent et de mystérieux plans. Les PJ, venant chercher le paiement de leur dernière mission découvrent ce trésor, personne d’autre ne s’intéressant plus depuis longtemps aux élucubrations du vieil homme. Libre aux PJ de vendre tout à la ferraille ou de se lancer dans l’acquisition des dernières pièces manquantes et de fabriquer l’incroyable machine.
Le trésor actif
Le terme n’est pas très joli mais je ne trouvais pas d’expression pour parler du trésor qu’un PNJ utilise, un trésor vivant, qui ne stagne pas dans un coffre. L’exemple typique est le sorcier ennemi que l’on vient de terrasser et à qui on enlève le bâton magique et on fouille les poches, les doigts – anneaux ! –, le cou – amulettes ! – les chausses – bottes enchantées ! –, les vêtements – cape ! manteau ! le sli… Noooon ! Si, pourquoi pas, emmenons tout, on ne sait jamais.
Encore une fois, il est judicieux de se poser la question, pourquoi a-t-il cela ? Pour quelle raison l’utilise-t-il ? Ou pas.
Les circonstances de la rencontre ont leur importance.
Le sorcier ennemi qui s’attend à l’attaque de vos PJ sera paré de pied en cap de tout son matériel de combat et de protections magiques. A moins qu’il ne soit totalement paranoïaque, il est peu plausible qu’il porte tout un fatras encombrant s’il n’y a pas de danger. Vous vous imaginez avec un sac bourré de fioles dangereuses quand vous partez faire votre footing matinal ou lorsque vous allumez le four pour faire un gâteau au chocolat ? Notre sorcier, c’est pareil. Du moins si c’est un humain normal. Le prince des morts vivants est exempt de ces considérations.
Imaginez-vous à la place du possesseur du trésor et ce que vous feriez en fonction des circonstances. Une armure de plaque ? Trop encombrant. « Oui mais la mienne est magique et elle n’encombre pas ! ». Ok, et quand tu vas aux toilettes, comment ça se passe ? La dague tueuse de démons, tu la gardes sur toi quand tu vas te coucher ? Ta femme dit que ça lui provoque des migraines. « Mais c’est n’importe quoi ! Ce n’est pas vrai ». Sans doute mais elle le croit, en attendant, tu sais que tu vas avoir droit à une scène de ménage et qu’elle va aller colporter partout que tu gardes au lit un objet qui provoque des migraines. «Pff… J’ai pas envie que tout le monde sache que j’ai une dague tueuse de démons, ok je la cache dans le coffre au pied de mon lit… ».
Inversement, il peut arriver qu’un objet puissant soit gardé sur soi par pur sentimentalisme. L’orc idiot qui garde l’anneau aux pouvoirs de-la-mort ignore ses fonctions mais  le garde parce qu’il est joli.
Le trésor actif se doit d’être utilisé si son possesseur estime que c’est nécessaire. Ca n’est pas juste un cadeau pour vos joueurs à la fin du combat. Si vous mettez un anneau de désintégration à l’ennemi de vos Pj et que le combat tourne mal pour lui, il est logique de l’utiliser. Sinon mettez un truc moins puissant si vous ne voulez pas les transformer en cendres. Et si vous estimez que votre PNJ ne sait pas ce qu’il fait, il l’aura sans doute caché ou jeté (!) plutôt que de le porter.
Les trésors technologiques sont intéressants car ils peuvent être présents mais mis de côté en attendant leur réparation, que la batterie soit rechargée, que le possesseur trouve des balles du bon calibre, etc.
Les objets « de circonstances » sont pareils. J’appelle « de circonstances », les objets qui fonctionnent sous condition. Le bouclier d’invocation qui ne marche qu’à la pleine lune, le sextant de jour, l’herbe des rois qui ne soigne qu’en présence d’un roi. Tous ces trésors sont actifs mais sont généralement rangés en attendant qu’ils soient utilisables. Logique.
Au final, un trésor est-il pertinent ?
Dans nombre de jeux il est l’objectif d’un scénario ou d’une quête, voire un élément constitutif et récurrent des parties qui s’enchainent. Accumuler des moyens puis les dépenser pour affronter le scénario suivant qui permettra de progresser et d’accumuler d’autres richesses et ainsi de suite. Amusant mais ni très logique ni très gratifiant finalement.
Trouver un trésor devient redondant et les joueurs blasés. En admettant que le MJ veuille donner une forme de récompense aux joueurs, ne vaudrait-il pas mieux se poser la question « Quelles sont les motivations du groupe et de chaque PJ pris individuellement ? ». Trouver des buts immatériels tels le pouvoir politique, un éveil religieux, une ascension sociale ou l’établissement d’une idéologie dans une région. Et si on veut rester dans des objectifs plus matériels, l’établissement d’une base de repli, l’obtention de terres, l’appropriation d’un temple ou d’une bibliothèque. Reste encore les objectifs que l’on délaisse souvent en JdR, les objectifs humains, qui pourtant sont souvent moteurs dans la « vraie » vie : conquérir un cÅ“ur, avoir des enfants, des amis, être bien dans sa peau ou être présent lors de la mort d’un proche.
Une fois de plus, un petit brainstorming entre MJ et joueurs permettra de définir un trésor plus exaltant comme objectif de vos aventures à venir.
Le risque en plus, avec cette recherche de trésor, c’est que les PJ en voudront toujours plus, donc on tombe la surenchère et la démesure.
Est-ce que les PJ vont se faire ch*er à aller chercher un trésor de 100 PO si dans l’aventure d’avant ils ont récupéré 2000 PO ? bande de capitalistes …
Sauf si c’est le métier principal des PJ d’être chasseur de trésor, le trésor ne devrait pas être une fin en soi, enfin pas systématiquement, mais un moyen : pour accomplir mon but – pour construire Paladinland, le parc d’attraction des Loyal Bon, la BNP ne veut pas me prêter de l’argent, donc je vais aller le chercher moi-même, y a un dragon qui dort sur un trésor dans le vieux manoir.
La BNP, c’est la banque naturelle des paladins ?
Je suis bien d’accord, le trésor ne devrait pas être une fin en soi mais malheureusement il a été le moteur de nombreux ancêtres dans les JdR. Le mythe (encore un mythe !) du  » Porte, Monstre, Trésor « . Et les mythes ont la vie dure…